La Révolution épouse Louis Vuitton

La Révolution épouse Louis Vuitton

L'homme nouveau n'existe plus que dans les rêves de Che Guevara. Il roule en Hummer dans les rues de Miramar, le quartier des ambassades et de la bourgeoisie havanaise. Élégant et raffiné, il achète sa montre suisse 3 000 euros chez l'horloger Cuervo et Sobrinos dans le centre historique de la capitale. Dans la très touristique Vieille Havane, une faucille en diamants a décapité le vieux marteau communiste. Voici la grande artère piétonne, la rue Obispo. Le nez rivé sur la devanture de l'horloger cubain El Clip, une beauté tropicale dévore de ses yeux émeraude des montres suisses Tissot. « 1 500 fullas [dollars], soldés 995 dollars. Ils sont fous. Il faut que je me trouve un yuma [étranger] », s'exclame la belle. À quelques dizaines de mètres de là, « La vie est belle », assure en français une immense publicité Lancôme dans la vitrine d'une parfumerie où les fragrances les plus chères s'exposent sans complexes. Louis Vuitton a fait des repérages. Chanel viendra au printemps 2016 pour un défilé de mode. Karl Lagerfeld en pince-t-il pour Karl Marx? Si nul ne sait, depuis seulement quelques mois, la Vieille Havane vibre au rythme des enseignes de luxe et peu importe que l'immense majorité des Cubains gagne moins de 20 euros par mois. La vitamina verde (la vitamine verte, la couleur du dollar) est là. De grands garçons américains, bien nourris et braillards, déambulent sous l’œil intéressé des jineteras (escortes). Si 77% des Cubains sont nés après la Révolution, une balade dans la Vieille Havane laisserait presque croire que celle-ci n'a jamais eu lieu.

Paru initialement dans Le Télégramme