Hospitalera sur le chemin de Compostelle, une expérience qui laisse des traces Accueil / Contenus / Capsules informations Ulysse / Europe / Sur les chemins de Compostelle / Hospitalera sur le chemin de Compostelle, une expérience qui laisse des traces Ourense en Galice, Espagne, sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle © iStock / PauloMachado Extrait du guide : Sur les chemins de Compostelle Papier (livre entier) 29,95 $ Cette deuxième édition du guide Ulysse Sur les chemins de Compostelle constitue un ouvrage de référence pour planifier un voyage de marche au long cours sur les chemins de Saint-Jacques. Voir la suite Une expérience qui laisse des traces Un témoignage de Nicole Pomerleau J’ai décidé de faire un chemin de Compostelle sur un coup de tête après avoir reçu un avis de cessation d’emploi le jour de mon anniversaire le 15 septembre 2003. J’avais 59 ans et encore de belles années devant moi. J’avais besoin d’y réfléchir. J’avais entendu parler de Compostelle comme route pénitentielle, comme voie lumineuse. Je savais surtout qu’il s’agissait d’un sentier très bien balisé qui me permettrait de traverser l’Espagne, à pied et à peu de frais. Conseillée par un membre de l’Association des Amis de Compostelle et un randonneur d’expérience, j’ai fait mon bagage et opté pour le Camino francés afin de pouvoir pratiquer la langue de Cervantes que je balbutiais déjà. Trois semaines plus tard, le 8 octobre 2003, un sac de 35 litres sur le dos, contenant l’équivalent de 10% de mon poids, j’allais rejoindre Saint-Jean-Pied-de-Port. La traversée des Pyrénées entreprise le jour même allait déjà être une révélation. En fait, je n’ai rien vu puisque la bruine et la brume masquaient tous les paysages. J’ai été amenée dès lors à tourner mon regard vers mes chemins intérieurs, à me retirer dans une bulle qui allait m’enrober tout au long du parcours. Voilà pourquoi, un an plus tard, j’ai eu envie de reprendre mon baluchon pour refaire la route autrement. J’avais tant reçu, je m’étais à ce point nourrie de la belle énergie du chemin que je désirais faire ma part en apportant à mon tour mon soutien aux pèlerins. Leur nombre augmente chaque année; il convient que les bénévoles suivent le rythme. J’ai communiqué avec l’une des associations jacquaires dont j’avais recueilli l’adresse sur un babillard et j’ai fait connaître mon intention et mes disponibilités. Quelques mois plus tard, j’ai reçu une proposition que j’ai acceptée. C’est donc en marchant depuis Logroño que je suis arrivée à Grañón, le 1er octobre 2004, pour y servir comme hospitalera pendant 15 jours. J’ai ensuite rejoint El Burgo Ranero, puis enfin Fisterra, où j’ai fait successivement de même pendant une semaine. La même année, sur l’élan, j’ai travaillé deux semaines de plus dans l’une des villes les plus chaudes d’Espagne – il y faisait 40° C à l’ombre –, soit à Ourense. Puis j’ai récidivé pour une autre quinzaine l’année suivante, cette fois à Arrès, sur le Camino aragonés. Cet engagement m’a révélé d’autres aspects de l’être humain. Bien qu’il soit écrit partout que « Le touriste exige, le pèlerin remercie pour ce qu’on lui offre », il s’en trouve toujours pour qui les attentes sont à la mesure de leur inconfort personnel : démesurées. Il n’y a pas lieu de les juger ni de s’en faire, puisque la convivialité qui s’installe entre les pèlerins a tôt fait de faire sourire les plus butés et d’endormir les plus sensibles aux bruits ambiants. Comme hospitalera, j’ai été cuisinière et ménagère, confidente et conseillère, comme toutes les mamans du monde finalement. Sauf que ce sont 10, 20, 30 personnes qui arrivent une à une, en couple, en groupe, en famille. En sueur et fatiguées, elles ont besoin d’eau potable, d’eau chaude, d’un lit, d’une oreille, d’informations. Toutes à la fois! Où manger? Où s’approvisionner pour le lendemain? Où téléphoner? Où laver ses vêtements? Y a-t-il Internet? Quel est le code Wi-Fi? À quelle heure est la messe? Où sont l’église, le monastère, la boulangerie, la charcuterie, la poste? Où suis-je? Où vais-je demain? Certains arrivent éclopés, blessés. Il faut les rassurer, appeler un médecin si nécessaire, les écouter nous raconter comment ils se sont blessés. Ils ont besoin d’une écoute bienveillante et de toute l’attention de l’hospitalier. Je sais d’où ils viennent, où ils vont, à combien de kilomètres se trouve le gîte suivant, le précédent, à combien de souffrances ou de plaisirs la route donne lieu. La route est longue. La route est belle. La route appelle, interpelle. Son silence oppresse ou libère. À l’arrivée au gîte, le premier contact avec l’aubergiste est capital. Je le sais. Les soirées servent à faire les bilans et les plans, à régler les détails. Si le gîte offre le repas, les denrées nécessaires sont disponibles sur place, car l’hospitalera aura vu à l’approvisionnement. Des pâtes surtout ou des lentilles, des salades, des légumes saisonniers. La présentation varie selon l’origine du chef cuisinier qui offre ses services. Il y a toujours des gens pour aider aux préparatifs, servir et desservir. L’hospitalera supervise, coordonne. Les échanges vont bon train. Des amitiés se forgent, des vies se résument, des solutions aux problèmes s’ébauchent, des tas d’histoires se racontent. On rit beaucoup, on prie au besoin, on pleure, on vit intensément. Il y a des moments chargés d’intensité et de vérité. Les gens se confient, se livrent et racontent volontiers pourquoi ils sont sur le chemin. Les journées sont longues et bien remplies. Les soirées sont courtes : à 22h, tout le monde dort. Ou essaie de dormir. Les yeux fermés, des bouchons dans les oreilles, chacun se retire dans son quant-à-soi. L’hospitalera fait de même. Le silence règne, sauf dans la chambre des ronfleurs dont le ronron peut être une véritable épreuve pour les non-initiés. Levée avant le soleil pour faire le café et couper le pain, l’hospitalera crée l’atmosphère incitant à passer à l’action. Ici, l’un panse son pied blessé, l’autre suspend son linge encore humide près d’une source de chaleur; là, quelqu’un remplit sa gourde d’eau fraîche, l’autre se prépare un sandwich pour la pause du midi. Rapidement, tous les effets étalés aux fenêtres ou dans le jardin pour sécher ou être aérés reprennent leur place dans le sac à dos. On s’embrasse, on se donne rendez-vous. Bien qu’on suive le même chemin, on se perd de vue, on se perd tout court, tout seul. C’est comme ça. Il est 8h. « Tique-tique-tac », les bâtons des marcheuses et des marcheurs entament leur ritournelle. L’hospitalera reçoit candidement les hommages des prêts-à-partir, frais et dispos. Elle s’assure que le pèlerin qui s’attarde reprenne courage et fonce droit devant, malgré la brume encore épaisse, la pluie ou le vent, peu importe. Elle essaie de mettre un peu de soleil dans son cœur. S’il demeure sur place, c’est que le malaise est réellement insurmontable. L’hospitalera veillera à son rétablissement tout en vaquant à ses occupations ménagères : tirer les draps, balayer les chambres et les salles communes, laver les douches et les toilettes, faire le plein de victuailles. À peine a-t-elle achevé son rituel quotidien que de nouveaux arrivants réclament son attention. Ils viennent de tous les horizons. Ils ont froid, ils ont faim, ils sont épuisés. Ils viennent refaire le plein. L’hospitalera est là pour leur faciliter la tâche. 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