La Cappadoce Accueil / Contenus / Asie et Asie Mineure / Turquie / La Cappadoce Göreme, Cappadoce | © Dreamstime.com/Maura Reap Quel est l’ingrédient premier de cet étrange royaume de Cappadoce? La roche volcanique? La main de l’homme? La lumière? La réponse tient un peu de tout cela : c’est le temps. Le temps qui passe et qui, parfois, demeure suspendu. Ici, le vent et les générations ont façonné un monde à nul autre pareil.Il y a de cela trois millions d’années, deux volcans crachèrent suffisamment de lave et de scories pour recouvrir toute une région enclavée dans le plateau anatolien, quelque part au nord de la crête des monts Taurus et au sud-est d’Ankara. Il en est resté d’épaisses couches d’une pierre dont les couleurs varient selon la composition des coulées de lave, le tuf. On y trouve aussi du basalte. Le tuf est un matériau sensible qu’érodent facilement la pluie et le vent. Avec les siècles, les ruisseaux y ont creusé des gorges et les intempéries ont dessiné un paysage qui semble avoir ses propres lois. On y rencontre par exemple des forêts d’étranges cheminées de fée; toutes sont surmontées d’un bloc de basalte, un peu comme certaines statues de l’île de Pâques arborent leur chapeau. L’érosion seule peut les expliquer. L’eau a progressivement dissout le tuf, mais n’a pu faire de même avec le basalte, qui a joué le rôle d’un parapluie pour le tuf qui se trouvait sous lui.Il y a de cela plus de 3 000 ans, les Hittites ont découvert cette région et l’ont colonisée. Elle est par la suite passée au royaume de Lydie, puis Cyrus l’a annexée à l’Empire perse. Elle n’y est pas demeurée longtemps. Alexandre le Grand s’en est emparée et la culture hellénistique a envahi le secteur. Rome a par la suite fait du royaume de Cappadoce une province de son empire. Il lui a donné une capitale dont le nom est étroitement associé à la chrétienté naissante : Césarée. La morphologie si singulière de la région a déjà séduit ceux qui recherchent Dieu. Monastères et ascètes se sont multipliés dans les vallées. Puis Byzance a succédé à Rome et a dû défendre le territoire de la Cappadoce contre les incursions et les assauts de nouveaux envahisseurs, les musulmans seldjoukides. L’histoire donnera finalement raison à ces derniers, mais non sans avoir appris aux populations locales à trouver sa sécurité dans le ventre de la terre.Aujourd’hui, la Cappadoce est devenue l’excursion incontournable pour quiconque visite la Turquie. L’Unesco en a même fait un élément du Patrimoine de l’humanité. C’est toutefois un site encore bien mal protégé, notamment contre son propre succès touristique. Depuis la côte méditerranéenne, au sud, on accède à la Cappadoce par une route qui part de Tarse. Une autre route permet d’y parvenir par l’ouest en passant par Konya. C’est celle-là qu’on emprunte lorsqu’on vient de la côte égéenne ou d’Antalya. On peut encore venir en Cappadoce par le nord-ouest, Ankara se trouvant à un peu moins de 300 km.Nevsehir est maintenant le chef-lieu de la Cappadoce. C’est une plaque tournante où les autocars assurant la liaison avec le reste du pays ou les aéroports de la région déchargent leurs passagers qui prennent le plus souvent une correspondance pour Avanos ou Ürgüp. Ces villes sont en effet beaucoup plus pittoresques. Avanos abrite de toute éternité des potiers qui tirent du limon rouge de la rivière la matière première de leur art. Ürgüp, quant à elle, renferme une cité troglodytique et bénéficie d’une position centrale idéale pour qui envisage de rayonner à partir d’un seul point. Non loin des deux agglomérations, Uçhisar mérite amplement qu’on s’y arrête. Les Hittites avaient déjà retenu ce site, un pic montagneux isolé, parce que facile à défendre. La montagne est depuis devenue un gruyère au fur et à mesure qu’on y installait des résidences semi-troglodytiques. Tout en haut, le panorama est proprement hallucinant.La visite de la région peut durer plusieurs jours. Si l’on tient absolument à utiliser un moyen de transport, la voiture doit parfois céder sa place à l’âne sur les pistes non carrossables. On vient en Cappadoce pour y admirer les caprices de la nature, mais aussi pour constater l’acharnement séculaire des hommes à creuser la pierre, pour leur propre bénéfice ou pour la plus grande gloire de leur Dieu. Les églises et les monastères abondent un peu partout. Ils se distinguent par leur architecture. Comment pourrait-il en être autrement dans un coin de pays où l’on sculpte la montagne pour faire apparaître le bâti? En Cappadoce, les constructeurs ont adopté plusieurs styles, allant jusqu’à concevoir de faux piliers et de fausses voûtes pour recréer l’impression laissée par les grandes églises de Constantinople.Ce qui retient l’attention à l’intérieur des églises, c’est l’ornementation picturale, qu’elle soit peinture ou mosaïque. Dans l’histoire de l’église byzantine, la question de la représentation du Christ et du message biblique a généré plus de 100 ans de conflits ouverts entre les empereurs et les autorités ecclésiastiques. Aux prétentions des iconoclastes, qui ne voulaient rien d’autre qu’une simple croix pour symbole, on a fait succéder un code strict pour éviter les excès. Heureusement d’ailleurs, puisque les dizaines d’églises intéressantes que compte la Cappadoce y ont gagné de véritables œuvres d’art, dont bon nombre sont malheureusement menacées parce que les ressources manquent pour les protéger adéquatement.Parmi les sites dignes de mention, mentionnons Gorème, autant pour son charme que pour son art religieux. À ce propos, il ne faut pas manquer de visiter le musée en plein air à côté de la ville; on y trouve des fresques dans un état surprenant. Zelve est un village dont les habitants ont dû être relocalisés en raison des risques d’éboulement. Précisément parce qu’il n’est plus habité, il se prête à toutes sortes d’explorations. À Çavusçin, il ne faut pas manquer l’église Nicephor Phocas, qui a été nommée en l’honneur d’un empereur byzantin qui connut du succès dans sa lutte contre les envahisseurs musulmans.Les habitants de la Cappadoce ont vu passer et repasser bien des conquérants au fil des siècles, et ils ont développé une méthode bien à eux pour leur échapper : disparaître. Pas facile de retrouver les habitants d’un village dans une région où le moindre ruisseau creuse des vallées encaissées, souvent invisibles à quelques dizaines de mètres. Et ça l’est encore moins lorsque ce sont les gens eux-mêmes qui creusent leurs propres abris. À cet égard, on compte une quarantaine de cités souterraines en Cappadoce, et il est presque certain qu’il y en a d’autres. Et il ne s’agissait pas de simples abris. On y avait conçu, sur plusieurs étages, des lieux de rassemblement, des magasins, des églises, des emplacements pour le bétail (plus près de la surface généralement), une ventilation centrale et des dispositifs pour se barricader efficacement à chaque étage. Les deux plus importantes cités souterraines sont situées à Kaymakli et à Derinkuyu. À Kaymakli, on peut visiter ainsi des salles et des couloirs sur quatre étages. La cité troglodytique de Derinkuyu est encore plus impressionnante avec ses kilomètres carrés de superficie; 10 000 personnes pouvaient y trouver tout le nécessaire!Dans la vallée de Peristrema, une magnifique randonnée attend les promeneurs. Au fil des siècles, la rivière Melendiz Suyu s’est resserrée entre deux falaises. On laisse la voiture non loin d’Ihlara pour prendre un taxi jusqu’à Selime, à l’autre bout. Il faudra bien six heures de randonnée avant de revenir à son point de départ, pour peu que l’on s’arrête un peu pour admirer les églises et les monastères installés dans la paroi des falaises. Deux conseils : porter des chaussures de marche et faire attention à la rivière, qui peut devenir imprévisible au printemps et à l’automne. D’autres circuits, moins banals, promettent également des randonnées mémorables. Le mieux est encore de louer les services d’un guide pour explorer les sentiers des vallées avoisinantes.