Sur les chemins de Compostelle : les conseils de Karine Boivin Accueil / Contenus / Dialogue avec de grands voyageurs / Sur les chemins de Compostelle : les conseils de Karine Boivin Karine Boivin et le livre Sur les Chemins de Compostelle auquel elle a collaboré. Sur les chemins de compostelle avec une spécialiste de l’activité physique Sur les chemins de Compostelle : les conseils de Karine Boivin Spécialiste en biomécanique et en analyse de la marche, professeure-chercheuse au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Karine a mis en œuvre un programme de recherche sur l’adaptation corporelle du marcheur-pèlerin. Depuis 2018, cette initiative vise le développement et le transfert de connaissances vers les communautés de pratique de la marche au long cours, avec des ouvrages collectifs, articles scientifiques, conférences et ateliers de marche (au Québec et en France), au bénéfice de tous. Qu’aimez-vous le plus des chemins de compostelle? Passer autant d’heures journalières à l’extérieur pour me déplacer à mon rythme personnel tout en prenant part au monde environnant. L’état d’esprit des gens qui cheminent : un état d’esprit propice à l’échange, à la conversation et au partage humain. De n’avoir presque rien à décider ni à penser d’un jour à l’autre, ce qui repose mon activité mentale et favorise la régénérescence des idées. Quel est le meilleur moment de l’année pour entreprendre ce pèlerinage? Pour faire un choix adéquat de la période de l’année à privilégier, il y a lieu de penser à réduire les risques associés aux effets organiques indésirables liés au climat : un excès d’humidité durant la saison des pluies ne facilite pas la condition du pied du marcheur, une chaleur excessive peut augmenter le risque de déshydratation ou de perte d’énergie importante et le froid (combiné à l’humidité), ressenti sur une période prolongée, peut favoriser les risques d’hypothermie. Le printemps est souvent agréable pour profiter de l’éveil de la nature et de l’augmentation du temps d’ensoleillement journalier. Il arrive cependant que la fin du printemps soit déjà bien chaude (surtout dans les régions plus au sud de la France ou en Espagne). La fin de l’été, voire le tout début de l’automne sont certainement des moments à privilégier. Trois façons de se préparer physiquement pour une marche au long cours? Suivant une progression douce, augmenter sa pratique de la marche (journalière) de sorte à développer l’habitude de marcher; expérimenter divers contextes pour bien se connaître et gérer au mieux ― la respiration, les efforts, les pentes, les conditions climatiques, le pas selon le terrain, la fatigue, l’équipement, etc. Avec l’augmentation de sa pratique de la marche, s’étirer et s’exercer pour gagner de la souplesse corporelle et du tonus musculaire (par exemple exercices de yoga, pilates) ― penser aussi à s’étirer doucement en marchant, comme il se fait à vélo. Alterner entre la marche et la pratique d’activités physiques autres pour favoriser la mise en forme corporelle (en endurance) et la perte de poids (si besoin) dans un contexte qui réduit les impacts aux pieds (p. ex. se déplacer à vélo, faire de la natation). Penser à privilégier le repos sur les quelques semaines avant le début d’une période de marche soutenue et prolongée. Si vous vous interrogez à propos du dosage recommandé pour se familiariser à la marche de longue durée, vous êtes invités à consulter le chapitre La santé physique : partir du bon pied du livre Sur les chemins de Compostelle. Comment notre corps s’adapte-t-il à ces heures de marche quotidienne? Les adaptations physiologiques observées par quelques auteurs à la suite d’un pèlerinage pédestre montrent des bénéfices, dans l’immédiat, sur la santé cardiovasculaire (par exemple diminution des tensions artérielles, modulation positive des taux de cholestérol) et sur la morphologie corporelle (par exemple diminution du poids corporel, du pourcentage de graisse, du tour de taille). Cependant, la persistance dans le temps des effets observés (après le retour aux habitudes de la vie de tous les jours) semble faible et demeure un aspect encore très peu recensé. De plus, des auteurs ont proposé que le système musculosquelettique (os, articulation, muscle) s’adapterait lentement au cumul de la marche; ce qui peut expliquer, en partie, sa susceptibilité aux blessures. Nous avons besoin d’étudier cette question, à savoir comment prolonger ou maintenir chez la personne les effets physiologiques bénéfiques à la suite d’une période de marche soutenue. Nous devons développer davantage la recherche pour mieux comprendre comment le corps humain s’adapte à la marche de longue durée et pour minimiser les dommages corporels associés. Ce sont des thématiques pertinentes sur la santé afin de favoriser une pratique saine à se déplacer à pied au sein de la population. Puisque marcher longuement ou pratiquer l’itinérance pédestre (par la randonnée de longue durée ou le pèlerinage pédestre) semblent se populariser à l’échelle mondiale, mieux comprendre la relation dose-réponse entre la marche de longue durée et la santé devient un enjeu de santé publique. L’âge est-il un facteur de risque pour les blessures? À ma connaissance, nous n’avons pas encore de données mettant en relation la prévalence des blessures qui surviennent à la marche au long cours sur les chemins de Compostelle en fonction de l’âge. Cependant, une diminution de la prévalence des troubles de santé a été observée avec l’augmentation de l’âge des randonneurs selon les résultats d’une étude conduite aux États-Unis sur 771 répondants, âgés de 13 à 76 ans. Les auteurs (Spano et coll. 2018) expliquent que le risque de blessures plus faible chez les randonneurs plus âgés serait lié à l’adoption d’une attitude précautionneuse. La littérature est concluante au sujet de l’augmentation du risque de chute au quotidien avec l’avancement en âge. Le risque de chute élevé est certainement un incitatif motivant la personne plus âgée à adopter des comportements précautionneux à la randonnée. Bien que cet effet « de protection aux blessures » ait été documenté chez le randonneur plus âgé, les impacts post-traumatiques peuvent être nettement plus conséquents chez cette tranche d’âge de la population. À titre préventif, nous répondons à un besoin de la population en continuant de renseigner au sujet de la personne qui marche : il y a lieu de s’outiller de sorte à réduire le risque de blessures ou d’aggravation d’une condition pathologique déjà existante chez le marcheur. Quel chemin recommandez-vous pour une première expérience? Ma recommandation est de privilégier un chemin qui réunit les conditions suivantes : a) Penser à opter pour un chemin sur lequel les facilités (hébergement, eau et nourriture) sont accessibles et espacées sur le trajet selon un intervalle de 5 à 12 km en moyenne pour pouvoir ajuster facilement son parcours journalier (selon ses besoins essentiels); b) Bien étudier le profil du dénivelé du trajet pédestre pour choisir un chemin qui correspond à sa condition physique; c) Oser redéfinir, selon ses besoins personnels, le découpage « officiel » des étapes proposées du chemin pour l’amorcer de sorte à ne pas rencontrer trop de dénivelé (en montée et en descente) les premiers jours (par exemple penser à débuter 2 ou 3 étapes avant un dénivelé important, choisir des hébergements situés à des étapes intermédiaires pour raccourcir la pente ou les étapes, etc.). Selon mes expériences personnelles, la voie du Puy-en-Velay, le Camino Francés et le chemin portugais (à partir de Porto) rencontrent ces critères, ce qui justifie en partie leur importante fréquentation. Le chemin du Mont-Saint-Michel est aussi un choix pertinent pour une première expérience puisqu’il a peu de dénivelé et est beaucoup moins fréquenté. Il y a lieu de bien se renseigner pour l’hébergement. Qu’est-ce que la courbature et comment les réduire? La courbature, ce phénomène de douleur et de raideur musculaire enclin à apparaitre après quelques heures, voire quelques jours suivants un exercice exigeant, devient mieux expliquée par la science. À ce jour, nous savons que la courbature est une réaction organique en réponse à une sollicitation ou à un l’effort de type excentrique du muscle, produit de façon excessive. À la marche, l’amorce de chacun des pas au sol pendant l’absorption du poids corporel requiert ce type de contraction musculaire et ce, selon une intensité accrue en contexte de pente descendante. Un cumuljournalier du nombre de pas comme tel ou couplé aux exigences aigues / prolongées de la gestion des pentes favorisent la courbature. La personne affectée peut ressentir de la fatigue, sa force musculaire réduite, voir son patron de marche affecté, son équilibre également. Ces changements peuvent la rendre vulnérable aux blessures. Si les courbatures surviennent, il est recommandé de considérer une récupération active. Le marcheur devrait alors ne pas interrompre immédiatement sa marche mais l’ajuster judicieusement : a) Diminuer considérablement la distance journalière parcourue et être attentif à la qualité du pas (bon déroulement pied, un pas plus court mais complet) au profit du rythme de déplacement. b) Favoriser la diminution de la sollicitation musculaire excentrique par l’usage adéquat des bâtons à la réception du poids et à la propulsion du corps ― un moyen pouvant faciliter la progression du pas. c) Alléger si besoin, sur quelques jours, le poids porté pour réduire le risque d’endommager les articulations portantes (par exemple hanche, genou, cheville-pied) puisque le système musculaire est en cours de réparation (présence de microlésions tissulaires et d’inflammation) et potentiellement moins efficient. d) Considérer le massage, l’immersion dans l’eau fraiche (cours d’eau, bassine, bain), les vêtements de compression (par exemple bas de compression) et l’application du froid comme moyens à privilégier, étant actuellement reconnus à titre de techniques les plus efficaces pour récupérer de courbatures, selon des résultats de méta-analyses récentes. e) Enfin, penser à consulter un professionnel de la santé s’il n’y a pas d’amélioration perçue après 4 à 5 jours. Avez-vous un dernier conseil pratique à partager aux marcheurs au long cours pour mieux profiter d’un pèlerinage à Compostelle? Oui, et j’en profite pour souhaiter un bon chemin à tous celles et ceux qui entreprennent un projet de marche au long cours. Ce qui peut être aidant de savoir, autant pour la dimension corporelle qu’humaine, est que son rythme à la marche ou sa vitesse de croisière préférentielle est intimement relié à sa physiologie et, par le fait même, difficile à ajuster au profit d’une bonne entente avec une autre personne. De ce fait, accepter de respecter le rythme de chacun, s’espacer un peu à la marche et favoriser les belles retrouvailles par endroits, si vous voyagez à plusieurs, peut être un dernier bon conseil pour cheminer à une vitesse de marche confortable pour l’organisme. Pour plus de renseignements sur les chemins de Compostelle, consultez Sur les chemins de Compostelle.